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Gérard Freitag, auteur de poèmes et de romans

 
 
Sans le tain des miroirs, récits
L’Harmattan, collection Écritures, 2009, 217 pages.

Plutôt que de nouvelles, il s’agit de quatre romans très courts.

La quatrième de couverture comporte le texte suivant  :

Sans leur tain, les miroirs ne nous renverraient plus notre image invariable et, en quelque sorte, prisonnière d’elle-même. Des possibilités insoupçonnées, oubliées ou cachées de nos consciences se révéleraient peut-être. Le héros de Vlod se multiplie dans des simulacres lui permettant de différer longtemps une évidence cruelle. D’autres personnages cherchent au contraire à se soustraire à ces reflets inattendus et peu confortables d’eux-mêmes. Grâce à eux une jeune femme se découvre une identité improbable mais bien plus satisfaisante que celle que les événements voudraient lui imposer. Le héros de Môsa y puisera enfin une justification.

Voici un extrait de « Vlod  » :

—  Êtes-vous monsieur Pitnis ?  lui avait alors demandé l’inconnu.

Or, s’il se trouvait en cet endroit, au fond de l’un de ces petits dédales que la ville de M*** affectionnait et qu’elle avait multipliés au cours des dernières années, si son regard feignait de sonder les profondeurs de la devanture mais qu’en réalité il surveillait les reflets que prodiguait la vitre, c’était bien parce qu’il avait pressenti de plus en plus nettement l’imminence d’une telle rencontre.

Pour tout dire, il y avait déjà plusieurs jours qu’il surprenait, à une distance plus ou moins respectable, la silhouette de l’homme qui lui adressait maintenant la parole. Il n’y avait d’ailleurs pas lieu de penser que celui-ci avait été extrêmement soucieux de n’être pas vu. Et même son allure était plutôt celle de quelqu’un qui cherche à faire croire qu’il veut passer inaperçu mais qui, en fin de compte, fait tout pour arriver à un résultat exactement contraire. Dans cette seule après-midi, il avait aperçu l’homme au manteau noir, au chapeau noir, aux lunettes d’écailles un bon nombre de fois, de sorte que, lorsqu’il s’était enfin trouvé à côté de lui, il savait assez exactement de quoi il allait être question entre eux.

—  Non, avait-il répondu.

—  Vous n’êtes pas Monsieur Pitnis le joueur de vlod tant regretté dans la ville de S. ?

—  Non, avait-il répété.

—  Veuillez m’excuser, cela ne se peut pas, avait dit l’homme en regardant toujours les reflets de leurs deux silhouettes.

—  Et pourquoi cela ne se pourrait-il pas ?

Mais déjà il savait qu’il ne disait cela que pour gagner du temps, mu en quelque sorte par une devise indélébile et qui lui enjoignait de différer le moment d’une défaite en toute circonstance.

—  Jamais l’organisation dont je relève ne s’est trompée sur le nom de quiconque.

—  Je m’appelle Martel.

—  Oui, bien entendu. C’est tout à fait exact. Vous êtes bien celui que je dois contacter.

           Il n’avait pu cette fois s’empêcher de se tourner vers son interlocuteur.

—  Vous êtes Monsieur Martel et donc Monsieur Pitnis, avait dit celui-ci.

 

Et voici un extrait de « Anna Lothard » :

Elle sentait bien que quelque chose avait disparu derrière elle. C’était comme une porte qui s’était refermée tout à coup et qu’elle ne parvenait plus à déverrouiller. Quand l’homme qui prétendait être son mari venait la trouver, il faisait tout pour rouvrir cette porte. Alors elle était plus certaine que jamais de n’avoir plus envie d’accéder à cette partie disparue de sa vie. Lui employait tous les moyens pour ouvrir la porte qui s’était rabattue, y appuyait de tout son poids, et elle, de son côté, faisait tout pour l’en empêcher. On aurait dit qu’ils se battaient, lui pour pousser le battant et elle pour le tenir fermé.

Un après-midi sa voisine est venue de nouveau avec un petit paquet de pâtisserie. Mais il était évident qu’elle n’était pas comme les autres fois : elle semblait gênée et ne s’y prenait pas de la même façon pour préparer le thé. Quand elles se sont assises, elle a ouvert le paquet et a dit presque en même temps :

-   Ecoutez, je voudrais vous dire quelque chose. C’est délicat mais je ne peux pas le garder pour moi.

           Elle tordait entre ses doigts les extrémités de l’emballage de papier et, sur son visage, on pouvait  voir  l’intensité de l’effort qu’elle faisait. Ses traits semblaient s’être étirés, ses yeux avaient pris une fixité qui ne leur était pas du tout coutumière.

-   J’ai eu hier à nouveau la visite de cet homme, a-t-elle dit. Il m’a parlé de vous.

          Elle n’a rien répondu.

-   Je n’ai pas à me mêler de cela, a repris la voisine, mais il dit qu’il est votre mari.

-   Ce n’est pas vrai.

          Elle a commencé à replier les rabats de papier, ne l’a pas fait jusqu’au bout.

-   Il m’a dit que vous disiez cela aussi, a-t-elle dit. Il semble très malheureux. Il m’a fait vraiment pitié.

-   Il est impossible que j’aie vécu un jour avec cet homme et, si je l’ai fait, alors je préfère l’avoir tout à  fait oublié.

-   Il m’a montré des photographies. La jeune femme qui s’y trouve vous ressemble beaucoup.

-   C’est possible, a-t-elle répondu. Beaucoup de jeunes femmes se ressemblent sur les photographies.

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Gérard Freitag, auteur de poèmes et de romans
 
 

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